
Depuis des décennies, les relations entre l’Europe et le Maghreb se sont construites sur un enchevêtrement de dépendances économiques, de proximités culturelles et de logiques géopolitiques. Dès les années 1960, les anciens liens coloniaux ont laissé place à des partenariats économiques asymétriques, souvent dominés par les intérêts européens en matière de sécurité énergétique et de contrôle migratoire. L’Algérie, riche de ses réserves en hydrocarbures, s’est imposée comme un acteur incontournable pour plusieurs pays européens, notamment l’Italie, la France et l’Espagne. Mais cette dynamique est aujourd’hui en pleine mutation : à l’heure où l’ordre économique traditionnel vacille et où l’Europe cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis d’acteurs instables, la rive sud de la Méditerranée, portée par des ambitions renouvelées, revendique une coopération plus équilibrée et mutuellement bénéfique.
Une vision stratégique à long terme
L’Algérie ne veut plus se contenter d’être un simple fournisseur de gaz. À travers la voix de son ministre de l’Énergie, Mohamed Arkab, le pays affiche désormais une volonté claire de jouer un rôle moteur dans la refondation du partenariat euro-méditerranéen. Présent au Forum international « Vers le Sud », le ministre a exposé une stratégie énergétique articulée autour de trois grands leviers : l’augmentation de la production de gaz naturel, la montée en puissance des énergies renouvelables, et la réduction des émissions carbone. L’objectif est ambitieux mais précis : atteindre 15 000 mégawatts de production solaire d’ici 2035.
Cette démarche n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un contexte où les pays du Sud cherchent à reprendre l’initiative sur les enjeux énergétiques. En misant sur la diversification et la transition, l’Algérie cherche à repositionner ses relations avec l’Europe sur un pied d’égalité. Elle entend être non seulement un partenaire fiable, mais aussi un acteur visionnaire dans la transformation énergétique de la Méditerranée.
Le Plan Mattei comme tremplin de coopération
Pour concrétiser cette ambition, Alger mise notamment sur le Plan Mattei, une initiative portée par l’Italie visant à renforcer les liens énergétiques et économiques entre les deux rives. Arkab y voit une véritable opportunité pour bâtir une coopération solide fondée sur des intérêts partagés. L’Algérie et l’Italie, déjà liées par une longue histoire de coopération dans le domaine gazier, souhaitent désormais élargir leur partenariat au-delà des pipelines : co-développement de projets solaires, interconnexions électriques, mutualisation des compétences technologiques.
Le Plan Mattei est envisagé non comme une aide, mais comme une alliance. L’Algérie insiste sur la notion de responsabilité collective dans la gestion des ressources et des transitions. En d’autres termes, le pays veut rompre avec la logique unilatérale du passé et plaide pour un modèle de coopération fondé sur le partage des bénéfices et des efforts. Cette approche, à rebours des logiques extractivistes anciennes, redéfinit les contours du dialogue euro-méditerranéen.
Une région au cœur des recompositions géopolitiques
Le contexte mondial actuel – marqué par des conflits géopolitiques, la montée de nouvelles puissances et la fragmentation des chaînes d’approvisionnement – confère une importance stratégique nouvelle à la Méditerranée. Dans ce paysage en recomposition, l’Algérie propose une lecture lucide et proactive : la Méditerranée ne peut plus se contenter d’être un simple couloir de transit énergétique. Elle doit devenir un véritable pôle de transformation, alliant sécurité énergétique, durabilité environnementale et développement humain.
En mettant en avant ses ressources naturelles, sa position géographique et ses capacités en matière d’énergie renouvelable, l’Algérie ambitionne de faire du Maghreb un centre de gravité dans les nouvelles dynamiques de coopération. Mais cela suppose une refonte des partenariats, une meilleure répartition des rôles et une volonté politique partagée.