
La grâce présidentielle accordée lors des grandes dates symboliques fait partie des pratiques régulières du pouvoir exécutif au Sénégal. Si elle intervient souvent au moment de la fête nationale en avril, elle est également prononcée durant la Tabaski, fête de la solidarité et du pardon. Cette année, le Président Bassirou Diomaye Faye a choisi de reconduire ce geste attendu, en ordonnant la libération de 1 466 détenus à travers le pays.
Ce chiffre remarquable reflète une volonté d’alléger temporairement la pression sur les établissements pénitentiaires, tout en envoyant un message d’apaisement. Les bénéficiaires sont issus de profils variés : mineurs, primo-délinquants, personnes âgées, malades graves ou encore condamnés ayant purgé une part importante de leur peine sans récidive. Dans tous les cas, le critère de bonne conduite reste central dans la sélection des bénéficiaires.
Des vies en suspens, une seconde chance
La prison au Sénégal reste, pour beaucoup, un espace de promiscuité et de marginalisation. La grâce ne répare pas le passé, mais elle ouvre une brèche vers la reconstruction. Pour les mineurs concernés, il s’agit souvent d’une sortie précoce avant que l’enfermement ne détruise définitivement les perspectives de réinsertion. Pour les malades ou les aînés, c’est un retour à la dignité dans les derniers temps d’une existence déjà affaiblie.
Les associations de défense des droits des détenus saluent cette décision, qu’elles considèrent comme un signal positif, bien que symbolique, en faveur d’un système judiciaire plus humain. Plusieurs familles, parfois éloignées des centres urbains, ont reçu la nouvelle comme un soulagement inattendu, à quelques jours de la fête. Une mère, dont le fils purgeait une peine à la maison d’arrêt de Thiès, témoigne que « c’est un nouveau départ, mais aussi une grande responsabilité. »
Réinsertion : l’autre chantier
Reste à savoir ce qui attend ces ex-détenus une fois franchie la porte de la liberté. Car si la grâce efface la peine, elle ne règle pas les obstacles sociaux : reprise de lien familial, réintégration dans le tissu économique, suivi psychologique, formation professionnelle… autant de défis à relever pour éviter que la sortie de prison ne devienne une simple parenthèse avant la rechute.
Certains acteurs communautaires appellent à renforcer les programmes de réinsertion, notamment à travers des partenariats entre l’État, les collectivités locales et le secteur privé. Pour que ces 1 466 grâces ne soient pas de simples chiffres dans un communiqué, mais le point de départ d’histoires nouvelles, construites dans la dignité.
La Tabaski, au-delà de son symbolisme religieux, devient ainsi une fenêtre d’humanité dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire. En libérant, ne serait-ce que temporairement, des trajectoires abîmées, l’État choisit d’honorer la valeur du pardon comme levier de reconstruction. Encore faut-il que la société soit prête à accueillir ces anciens détenus autrement que comme des fardeaux.