
Le marché de l’énergie en Méditerranée est en pleine recomposition. L’équilibre historique qui plaçait l’Algérie au cœur de l’approvisionnement gazier de l’Europe vacille face à la montée en puissance du gaz naturel liquéfié américain. En annonçant un accord historique avec Shell pour importer du GNL sur quinze ans, le groupe italien Edison envoie un signal fort : les pipelines algérien ne sont plus l’unique horizon énergétique de l’Europe. Pour l’Algérie, fournisseur historique et pilier économique régional, la décision sonne comme un avertissement.
Depuis des décennies, l’Algérie est un acteur majeur gaz dans la région du Maghreb. Avec plus de 11 % des importations gazières de l’Union européenne en 2024, l’Algérie reste un acteur incontournable. Sonatrach, la compagnie nationale, alimente principalement l’Italie, l’Espagne et la France grâce à des contrats à long terme via des gazoducs stratégiques, comme TransMed. Quant au Maroc, il ne joue qu’un rôle secondaire, essentiellement comme pays de transit via le gazoduc Maghreb-Europe, fermé depuis 2021 sur fond de tensions diplomatiques avec Alger. Dans ce paysage dominé par l’Algérie, le choix d’Edison de réduire ses importations en provenance d’Alger au profit du GNL américain bouleverse les équilibres et fragilise la position de Sonatrach sur le marché européen.
Edison parie sur le GNL américain
Le 10 septembre 2025, Edison a officialisé un accord avec Shell pour l’achat de 0,7 million de tonnes de GNL par an à partir de 2028 comme le rapporte Market screener. Ce contrat, qui s’étendra sur quinze ans, marque une rupture stratégique. L’entreprise italienne mise sur la diversification de ses sources d’approvisionnement et sur une plus grande flexibilité. Contrairement au gaz transporté par pipeline, le GNL offre la possibilité d’ajuster les volumes en fonction de la demande et de profiter des opportunités du marché spot. Dans un contexte marqué par les tensions géopolitiques et l’incertitude des approvisionnements, cette souplesse devient un atout décisif pour les énergéticiens européens.
Le vrai signal pour l’Algérie
Pour Alger, le contrat d’Edison ne représente pas une perte immédiate. Mais il illustre une tendance de fond : les énergéticiens européens ne veulent plus dépendre de quelques corridors fixes. Depuis la guerre en Ukraine, l’Europe a doublé ses importations de GNL américain et investi dans de nouveaux terminaux méthaniers. L’Italie, avec plusieurs projets stratégiques, se place en première ligne de ce basculement.
Si cette stratégie de diversification se généralise à d’autres acteurs — Eni, Enel, Naturgy ou encore les groupes français —, l’Algérie pourrait voir ses parts de marché s’éroder progressivement. Pour un pays dont près de 90 % des recettes d’exportation proviennent des hydrocarbures, le risque est loin d’être négligeable.
Un coup dur pour Sonatrach et l’économie algérienne
Pour l’Algérie, ce changement de cap représente tout de même un coup dur en lisant entre les lignes. Le contrat avec Edison représente à lui seul près d’un milliard de mètres cubes par an. Si cette réduction n’est pas immédiate, le message envoyé au marché est clair : les clients historiques n’hésitent plus à se tourner vers d’autres horizons. D’autres énergéticiens européens pourraient emboîter le pas, ce qui pourrait peser lourdement sur les recettes d’exportation algériennes.
Une baisse durable des exportations vers l’Europe aurait des répercussions directes sur des pans de l’économie. Face à cette menace, Sonatrach devra repenser sa stratégie, notamment en diversifiant ses débouchés et en accélérant le développement de ses propres capacités de liquéfaction pour concurrencer les États-Unis sur le terrain du GNL.