Maghreb : les coulisses d’un lobbying européen devenu scandale judiciaire

Par lanouvelletribune  -  27 septembre 2025 13:53

Image placeholder

Les scandales liés à la corruption ont longtemps façonné l’image politique et économique du Maghreb, donnant lieu à des affaires retentissantes où des responsables publics ont été éclaboussés par des soupçons d’enrichissement illégal. Dans cette région, les grands projets d’infrastructures et les contrats stratégiques attirent régulièrement les convoitises, nourrissant l’idée que les leviers d’influence se négocient autant dans les couloirs officiels que dans les réseaux parallèles. C’est sur ce terrain fragile qu’a émergé un dossier aujourd’hui porté devant les tribunaux espagnols, et qui met en cause un système d’intermédiation construit par deux anciens hommes politiques européens.

Des cabinets privés au service de contrats publics

Au centre de l’affaire se trouve Voltar Lassen, une structure présentée comme un simple bureau d’avocats, mais qui fonctionnait en réalité comme une plateforme d’influence. Fondé par l’ancien député Pedro Gómez de la Serna et l’ex-ambassadeur Gustavo de Arístegui, le cabinet aurait permis à plusieurs entreprises de remporter des appels d’offres dans un pays du Maghreb. Le groupe basque Elecnor, mais aussi Rover Alcisa, Assignia Infraestructuras et d’autres sociétés, sont soupçonnés d’avoir versé des commissions pour obtenir ces marchés.

Les autorités espagnoles estiment que ces accords n’étaient pas de simples partenariats commerciaux : il s’agissait d’un mécanisme sophistiqué, mêlant lobbying, paiements occultes et faux documents, destiné à « acheter » des relais au sein d’administrations locales. Des filiales d’Elecnor et des cabinets de conseil auraient joué un rôle actif, tandis que des managers basés en Suisse et aux Pays-Bas se chargeaient du blanchiment des fonds.

Une enquête marathon aux portes de la prescription

L’affaire Elecnor, révélée il y a près d’une décennie, semblait condamnée à disparaître dans les méandres de la justice. Mais le juge Santiago Pedraz a décidé d’ouvrir un procès oral juste avant l’expiration des délais de prescription. Pas moins de 23 personnes et cinq entreprises devront répondre de faits de corruption, de falsification et de participation à une organisation criminelle rapporte Publico.

Le parquet réclame des peines sévères : 18 ans de prison pour De la Serna et Arístegui, assortis de lourdes amendes et de la confiscation de plus de 2,6 millions d’euros. Même le fils de l’ancien diplomate, Borja Manuel de Arístegui Arroyo, est cité pour avoir possiblement pris part à ce réseau de commissions occultes. Au fil de l’enquête, un élément marquant a été la disparition de Cristóbal Tomé Becerra, l’unique salarié de Voltar Lassen et intermédiaire clé auprès de responsables maghrébins. Sa mort a laissé derrière lui un vide, mais aussi une série de documents qui renforcent les soupçons.

Au-delà du procès, une remise en question

Ce dossier illustre la façon dont certains acteurs politiques européens ont utilisé leur expérience et leurs réseaux diplomatiques pour s’ériger en courtiers de marchés sensibles. L’affaire met aussi en lumière le rôle trouble de sociétés-écrans, qui servent de passerelles entre multinationales, cabinets privés et circuits financiers transnationaux.

Pour l’Espagne, il s’agit d’un test judiciaire majeur : démontrer que les figures politiques ne sont pas au-dessus des lois, même lorsqu’elles dissimulent leurs activités derrière un vernis institutionnel. Pour le Maghreb, l’écho de ce procès rappelle que les promesses de modernisation et de développement restent vulnérables aux pratiques d’influence venues de l’étranger.