
Lorsque les chars russes ont franchi la frontière ukrainienne en février 2022, le monde a découvert brutalement l’ampleur d’un conflit dont les signaux annonciateurs n’avaient pourtant pas échappé aux services occidentaux. Dans un ouvrage récemment publié (The Mission: The CIA in the 21st Century), le journaliste d’investigation Tim Weiner révèle comment la CIA avait anticipé l’attaque et épaulé Volodymyr Zelensky dans ses préparatifs.
Une mobilisation totale des services américains
Derrière les murs feutrés de Washington, un dispositif inédit s’est progressivement mis en place. Le patron de la CIA, William Burns, a sollicité toutes les branches du renseignement pour décrypter les intentions du Kremlin. Ce fut une opération en réseau, comparable à une gigantesque toile où chaque agence constituait un nœud relié aux autres rapportait The New Yorker il y a quelques semaines dans un article.
Ainsi, les équipes du FBI spécialisées dans la sécurité et le contre-espionnage ont traqué les signaux en provenance des réseaux russes. Pendant ce temps, le général Paul Nakasone, à la tête de la NSA et du Cybercommand, exploitait ses puissants outils d’écoute pour pénétrer jusque dans l’entourage proche de Vladimir Poutine. Le Pentagone, de son côté, n’était pas en reste : à la demande du secrétaire à la Défense Lloyd Austin, ses satellites espions ont surveillé la concentration de troupes aux abords de l’Ukraine, révélant des mouvements comparables à une partie d’échecs grandeur nature où chaque division déplacée annonçait la prochaine offensive.
À ce dispositif s’ajoutait la coordination orchestrée par Avril Haines, directrice du renseignement national. Chargée de superviser pas moins de dix-sept agences, elle a investi des ressources considérables pour déployer des analystes capables de trier l’avalanche de données brutes. Leur rôle consistait à transformer un chaos d’informations hétéroclites en un récit intelligible, compréhensible par les décideurs et utilisable par Kiev.
Comment Zelensky a tiré parti de ces informations
Ces efforts conjugués ne visaient pas seulement à alimenter les briefings de la Maison-Blanche. Ils avaient une finalité concrète : permettre au président ukrainien Volodymyr Zelensky de préparer son pays à résister à une attaque que beaucoup jugeaient inéluctable. Les renseignements américains ont fourni à Kiev des indices précieux sur la chronologie envisagée par Moscou, les axes probables de pénétration des forces russes et même les intentions de propagande que le Kremlin avait préparées pour justifier son offensive.
En recevant ces informations, Zelensky se trouvait face à un dilemme : prévenir publiquement son peuple et risquer de déclencher une panique économique, ou garder ses cartes en main et organiser discrètement la riposte. Il a choisi la seconde option, utilisant les avertissements américains comme une boussole pour renforcer certains points stratégiques, réorganiser la défense de la capitale et alerter discrètement ses partenaires.
Ce partage de renseignements a également eu un effet diplomatique. En rendant publiques certaines informations, les États-Unis ont tenté de couper court aux narratifs russes et de priver Moscou de la surprise. Cela a permis à Kiev de se présenter sur la scène internationale non pas comme une victime impréparée, mais comme un pays conscient du danger, épaulé par des alliés capables d’anticiper les manœuvres adverses.
Plus qu’un avertissement : une alliance consolidée
L’épisode illustre la manière dont la guerre en Ukraine ne s’est pas seulement jouée sur les champs de bataille, mais aussi dans les coulisses du renseignement. Les informations partagées par Washington ont représenté pour Zelensky une forme de bouclier invisible, moins spectaculaire qu’un char ou un missile, mais tout aussi décisif. Comme un navigateur recevant en temps réel la cartographie des récifs qui l’attendent, le président ukrainien a pu ajuster sa trajectoire pour éviter les écueils les plus dangereux.
Trois ans après le déclenchement de l’« opération spéciale », ces révélations mettent en évidence un fait essentiel : l’issue d’une guerre ne dépend pas uniquement de la puissance de feu, mais aussi de la capacité à voir venir l’orage. En tendant cette lampe de veille à Kiev, la CIA n’a pas seulement cherché à éclairer le chemin de l’Ukraine, elle a aussi scellé une coopération qui redéfinit la place du renseignement dans les conflits modernes.